Il était une fois
Leïla Dixmier, a.k.a Leïla Sy, directrice artistique et réalisatrice, notamment
pour le rappeur français Kery James. 2009, quelque part tout près de Paris... Une silhouette gracieuse telle une
princesse Peule se déploie sur le plateau du tournage du clip de Je
Représente de Kery James, auquel j’ai eu le plaisir d’être invitée. Attentive, efficace, généreuse, elle force le respect. C’est le
souvenir pro, millésimé 2009, que je garde de la talentueuse Leïla Sy qui jongle
comme personne entre une vie artistique épanouissante et une vie familiale intense…
et qui, tenez-vous le pour dit, nous livrera dans les années à venir quelques
pépites d’or de sa mine secrète, planquée entre matière grise et palpitant. Pour
l’heure, nous revenons sur sa magnifique collab’ avec le rappeur que l’on disait -un peu vite-
assagi et qui effectue un retour plein d’empoigne, avec un titre fort, Lettre À La République.
Et un clip magistral que Leïla co-réalise avec Mathieu
Foucher, et qui a été vu 2 millions de fois en quelques jours !
Depuis combien de temps êtes-vous DA pour Kery
James ?
On a commencé à
travailler ensemble sur À l’Ombre Du Show Business en 2008, son quatrième
album. J’ai conçu des graphismes pour des tee-shirts et pris en charge la
réalisation de la photo de l’album. Une relation de confiance s’est instaurée
entre nous et j’ai réalisé mon tout premier clip Le Combat Continue Part III.
J’ai opté pour une image très sombre, en noir et blanc avec un gros grain,
évoquant le bitume. Ensuite, j’ai réalisé le clip de Banlieusards . Je suis
partie de l’idée d’un hymne pour les jeunes des quartiers. J’ai utilisé un
cadre comme révélateur de parcours de vie. Le résultat donne une galerie de
portraits rythmée mettant en exergue des jeunes de quartiers avec une énergie
positive qui se manifeste dans leur vie. Une belle aventure humaine !
Votre démarche artistique est également liée à vos
convictions n’est-ce pas ?
Je suis amenée à
travailler avec des artistes et sur des projets divers. Certains me touchent
plus que d’autres. Kery James a mon entière confiance car je soutiens tout chez
lui et notamment ses textes. Je pourrais dire qu’à certaines thématiques, on
crée une réponse commune. Il me laisse entièrement libre. Je travaille beaucoup
en symbiose avec ses textes tout en tâchant d’insérer une image avec un second
niveau de lecture. Chaque projet nait d’une concertation, de discussions et de
l’élaboration d’une pensée commune, et en toute liberté.
J’évoque votre engagement car vous êtes également
fondatrice de Devoirs de mémoires, un collectif co-fondé avec Joey Starr, qui avait lancé un appel aux jeunes de banlieue afin qu’ils
s’inscrivent sur les listes électorales dans le but de “ne pas reproduire le 21
avril 2002”. Pour vous, pas d’art sans engagement ?
J’ai la chance de
faire un métier créatif. C’est parfois difficile car les projets sont inégaux…
Mais je mets tout de moi quand je crée : mon savoir, mon bagage, mes observations, mes failles… Je
suis franco-sénégalaise donc métisse, et j’ai grandi en France. Et dans mon
métier, je cumule les mandats ! Je suis donc une femme dans un milieu a
priori macho, et métisse. Tous ces éléments sont devenus une force. Je mets tout
ce qui me constitue au service de mes idées. Je bâtis mon chemin professionnel
ainsi. Je respecte trop les gens qui me donnent leur confiance lorsqu’ils me confient
un projet pour ne pas être absolument entière avec eux en répondant à leurs
attentes. Quand je réfléchis à un projet artistique, je lui suis fidèle tout en
ayant à l'esprit des images capables d’insuffler des idées au public les recevant. C’est lorsque ces deux niveaux de lecture sont en place que je me
sens pertinente. « Je définis mon travail comme l’image au service d’une
idée ».
Pour en revenir à Kery James, comment cette
collaboration qui dure depuis quelques années s’est-elle bâtie ?
Je suis tombée
dans la culture hip hop très jeune via la danse et j’ai été conquise par ses
valeurs inhérentes, notamment le partage, la convivialité, la générosité. Et la
danse stricto sensus m’a donné un cadre. J’aimais aussi l’énergie de la culture
en marge, une énergie à contre-courant et forte car naissante. Ensuite, j’ai
étudié à Penninghen (école supérieure
d’arts graphiques, design et archi d’intérieur, ndr). Et avec des amis on a
lancé Track List, un magazine hip hop et on a repris la licence du magazine
américain The Source. C’est dans les locaux de The Source que j’ai rencontré
Kery James. Et un jour, j’ai été contactée par sa maison de disques. Après le
tournage des premiers clips, travailler ensemble est devenu une évidence sur le
principe de « on ne change pas une équipe qui gagne ». J’ai un
attachement particulier à cet artiste lié au fait que notre collaboration a vu
le jour à un moment trouble de ma vie. J’étais jeune maman donc je ne
travaillais plus beaucoup. Mais il m’a donné sa confiance.
Quelle serait la trame du projet artistique que
vous imaginez pour Kery James ?
Il y a
systématiquement un concept fort, outre la production de l’artiste qui est déjà forte .
L’idée n’est pas simplement d’illustrer ses propos mais d’apporter quelque
chose de puissant par l’image également. Je m’impose cet exercice. J’explore des
nouveaux codes d’expression visuelle, et ce, jamais de manière didactique ou
gratuite. L’image porte un sens. Par exemple, pour Je Représente, tous les
personnages présentés (dont moi :), ndr) évoluent sur un sillon de vinyle imaginé et, par
leurs différences, représentent la France d’aujourd’hui. Le tout en stop motion
(raffale d’images fixes créant le mouvement, ndr).
Quand on voit le clip du nouveau single de Kery
James, Lettre À La République, on se demande d’où débarque ce superbe OVNI…
Kery James
revient après deux ans et demi d’absence. Le clip est à l’image de nos
retrouvailles. C’est un travail d’équipe comportant diverses inspirations avec
une ligne directrice : la mise en lumière de la notion de monument. La
République, qui érige des statues de bronze, décide desquels de ses enfants
serviront d’exemples aux générations futures. Je voulais incarner des statues
plus proches de la réalité à la fois de l’artiste et de la réalité de la
France. C’était un exercice périlleux car l’image est frontale et incisive, à
l’instar du texte. Le tout en pleine période électorale. Je ne voulais pas
créer d’antécédent communautaire mais que le propos touche de manière
universelle. « Le vrai débat est celui de la France et de tous ses enfants ».
Avec Mathieu
Fouchet avec qui je co-réalise le clip, nous avons eu envie d’aller vers une
image poétique, tout en conservant le côté « rue » du hip hop. Avec
le fond noir on conserve un aspect brut et l’on utilise des symboles forts pour
l’aspect poétique. Les problématiques de ce titre sont l’insertion, la
discrimination, la difficulté qu’ont certains à se sentir français alors qu’ils
le sont. La solution passe par le savoir et l’histoire ce que Kery James
exprime parfaitement. Dans le clip, il n’y a ni blancs, ni noirs, mais des gens
à la peau cuivrée, telles des statues.
Justement, d’où vient l’idée des personnages
cuivrés ?
Entre le cuivre
et moi, c’est une grande histoire d’amour ! A Penninghen, j’ai travaillé
sur des personnages à la peau cuivrée pour ma thèse. J’ai recréé une
civilisation dont les individus avaient la peau cuivrée et les yeux très noirs,
à l’instar des insectes. Et puis avant le tournage, j’ai découvert des artistes
ayant eu la même obsession, notamment grâce au manager de Kery James.
Concernent la peau cuivrée toujours, le résultat
est très étonnant, comment ces personnages ont-ils vus le jour ?
On a travaillé
sur des personnages symboliques de la société. Dans cette galerie de portraits,
on trouve le Kery Guerrier, une Marianne République, un homme costumé incarnant
la bête (l’argent), l’enfant masqué représente la violence d’être un enfant qui
grandit dans un quartier difficile, la ménagère avec son caddie est en pendant
de la sans-abri qui pousse le sien.
Et plus concrètement ?
Il y a eu un gros
travail de make-up réalisé par Jabe avec qui je travaille toujours car c’est un
artiste brillant. Pour obtenir ce rendu, il a travaillé sur la matière et a
créé des aspérités. La base est foncée mais la peau n’est pas traitée de
manière uniforme bien sûr. Jabe a redessiné les lumières en touches avec une
poudre cuivrée brillante. Il faut également souligner un excellent travail de
lumière dirigé par Madhi Lepart, le chef op, qui avait comme direction de
« décrocher » les personnages du fond. La lumière qu’il a produite
est somptueuse. Ce qui étonne aussi, c’est le rendu vestimentaire des
personnages. Les costumes sont enduits de cuivre. L’équipe de style dirigée par
Yasmine Akkaz et l’équipe déco de Joffray Simon et Alain Juteau. Je voulais vraiment un
rendu avec des plis et une matière figée à la manière des statues classiques. Mathieu
Foucher qui co-réalise le clip a fait également un travail important pour
l’aspect 3D. Chaque statue avait d’ailleurs sa propre composition. On a imaginé
un univers 3D dans lequel des mouvements virtuels ont été recréés à l’intérieur
de ces compos. C’est ainsi qu’on a construit la séquence de l’armée de Kery.
Cette séquence est d’ailleurs un clin d’œil à
Michael Jackson qui prévoyait une image similaire pour sa tournée et que l’on
voit dans This Is It.
Les gens voient
des références multiples. On a également vu une évocation de Métropolis de
Fritz Lang. Mais l’ensemble du clip est construit de façon à ce que le public
retrouve des symboles issus de l’imaginaire collectif, et pas uniquement du hip
hop.
Le clip a un succès fou, deux millions de vues en
quelques jours. Alors heureuse ?
Le clip est né
d’un vrai travail d’équipe. On a travaillé comme des dingues, on a souffert
pour cette vidéo et on a haï nos ordis. On a même eu du retard… Kery James a
refusé de sortir le titre sans le clip car la vidéo et le titre forment un
tout. Voilà, on en a bavé mais c’était tous ensemble. Et surtout le travail est
désormais récompensé par le succès du clip.
Des projets pour l’avenir ?
Oui. Pour moi,
créer c’est respirer. Je travaille depuis un an et demi, et même davantage, sur
une fiction qui a comme base la culture hip hop justement. Mais ça, vous le
savez déjà !
En tout cas, je vous quitte sur de sincères Félicitations ! A vous, à Kery James et à tout le crew du clip <3
En tout cas, je vous quitte sur de sincères Félicitations ! A vous, à Kery James et à tout le crew du clip <3
Leila Sy - Showreel 2O12 from FullDawa Prod on Vimeo.
Cette vidéo concentre quelques unes des réalisations de Leïla Sy
Merci pour cet interview.
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