Déjà 20 ans qu’ Etienne de Crécy nous fait vibrer, jumper et divaguer aux rythmes de ses productions… La
preuve ? My Contribution To The Global Warming, une anthologie dantesque
et gargantuesque à base de 5 cds, 6 vinyles ( au choix), à sortir ce mois-ci.
Au menu, les hits du Dj, de Super Discount 1 et 2, à All Right Now en passant
par Tempovision… ses remixes (Air, Alex Gopher, Kraftwerk, Dj Mehdi, Moby,
Zombie Nation) et des inédits en quantité et qualité non négligeables. Parce
qu’il n’y a aucune raison de ne pas (s’)offrir et aimer la très belle anthologie
d’Etienne de Crécy, qui plus est superbement designée -dans un coffret surprise-,
j’ai rencontré avec un certain plaisir l’un des piliers de la French Touch,
histoire de dresser son bilan de 20 ans de techno et d’imaginer avec lui le
futur de celle-ci. Madeleine de Proust pour les uns, découverte pour la
nouvelle génération… en attendant la tournée de lives, voici « my
contribution to the global listening of » Etienne de Crécy!
Pour ceux qui n’étaient pas encore là en 1992, c’était comment la naissance de la techno ?
Pour ceux qui n’étaient pas encore là en 1992, c’était comment la naissance de la techno ?
Comment c’était ?
C’était marrant. Tu y étais ou pas ?
Oui j’y étais, c’était les débuts de la techno et…
mais attends, j’ai l’impression que les rôles s’inversent là, c’est moi qui
pose la question.
(Rires). Tu allais à
Mozinor (spot de raves parisiennes des années 90, ndr) ?
Non, j’allais écouter les premiers sets de Laurent
Garnier au Boy.
Tu allais plutôt dans les
clubs alors. Je n’ai pas du tout découvert la techno comme ça. C’était en 1992
et exclusivement dans les raves : Mozinor, Space Invader, Transbody
Express… C’était marrant de découvrir une musique vraiment révolutionnaire, de
revoir les mêmes groupes de personnes d’une rave à l’autre, sachant qu’il n’y
avait pas internet et que pour se rendre à ces fêtes, il fallait réussir à
avoir un flyer. Généralement, tu ne savais pas où la fête se passait avant la soirée
de la veille où les flyers étaient distribués aux gens qui avaient l’air cool,
certains flyers étaient d’ailleurs plus difficiles à obtenir que d’autres… C’était
quand même incroyable parce que 2 à 3000 personnes se réunissaient
régulièrement dans ces soirées et personne n’en parlait, c’est arrivé relativement
tard dans les médias. Je trouvais cela fou ! Après la soirée, on se
rendait sur une péniche face à la maison de la radio. Le dimanche à 9h du
matin, 600 personnes venaient écouter une musique de fous. A part ceux qui
étaient présents, personne n’en parlait. J’avais l’impression de faire partie
d’une élite de gens conscients qu’ils vivaient une révolution.
Vous avez pris une claque à ce moment-là ?
Oui. Mais surtout à cause
de la drogue. La vraie claque a été chimique (rires). Ca m’a aussi fait
comprendre la musique beaucoup plus rapidement. La claque a aussi été musicale.
Après, j’ai arrêté de me droguer mais j’ai continué à écouter de la musique.
Effectivement, le déclic musical ne m’a pas lâché et que je le recherche
toujours quand je fais de la musique et lorsque j’en écoute également. C’est ma
perception de la musique.
Et pourquoi la techno plutôt que le hip hop qui
était aussi en effervescence à la même période ?
(Il réfléchit). La techno
a réuni deux influences majeures de ma culture musicale à savoir la new wave et
le punk. J’avais aussi une culture hip hop assez forte à travers laquelle j’ai
découvert des samples de funk, de jazz, de soul… toute cette culture noire.
Bref, des influences totalement incompatibles avant la techno. Ces mondes ne communiquaient pas et se
détestaient cordialement.
"LA TECHNO EST UNE MUSIQUE DE NERDS"
"LA TECHNO EST UNE MUSIQUE DE NERDS"
Qu’est-ce qui a changé en 20 ans ?
L’avènement d’internet a
offert la possibilité aux gens d’avoir une culture musicale beaucoup plus forte
qu’auparavant. En 1992 et avant, la musique constituait un engagement entier.
Quand tu aimais un style tu étais très exclusif. La musique définissait les gens qui se
définissaient eux-mêmes par rapport à la musique qu’ils écoutaient. Il me
semble que c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, grâce à cet accès à la culture de manière plus universelle. Les
esprits se sont ouverts et il n’y a plus vraiment de clan. Les jeunes
d’aujourd’hui ont une culture musicale incroyablement ouverte et profonde. A
seize ans, certains sont vraiment très érudits. Selon moi, c’est là le vrai
changement. Les jeunes peuvent aller en boîte écouter de la techno, du rock en
concert et de la folk à la maison. Tous les styles de musiques sont
acceptables.
Oui, internet a révolutionné les choses ne
serait-ce que grâce à des outils comme Shazam permettant de savoir
immédiatement ce que l’on écoute alors que dans les années 90, il fallait forcément
se rendre chez l’un des rares disquaires fredonner ce qu’on avait entendu la
veille… donc une vraie « volonté culturelle ».
Oui totalement. Aujourd’hui
aussi, la techno reste une musique de passionnés et d’amateurs. Il y a
tellement de productions, qu’il faut s’y intéresser. C’est une musique de
nerds, de gens qui vont fouiller pour dénicher des nouveautés. Et d’ailleurs,
c’est jouissif lorsque tu as le morceau qui n’est pas grillé, celui que les
autres n’ont pas. Ce truc reste intrinsèque à la techno.
Parmi les changements majeurs, il y a aussi le
fait qu’avant, pour sortir un disque, il fallait tout un arsenal. Maintenant,
c’est très facile, non ?
La techno a été précurseur
de l’industrie du disque moderne. Avec Philippe Zdar (la moitié de Cassius et
de Motorbass dans les années 90, ndr) quand on a fait les premiers maxi de
Motorbass en 93, on a créé les morceaux chez nous. Le home studio est né dans
les années 90. Ca demandait déjà un peu de moyens par rapport à ce que tu peux
produire avec un laptop aujourd’hui, mais c’était à la portée de certains. Et
c’était totalement révolutionnaire ! Avant cela, il fallait aller en
studio. Dans les années 90, il fallait encore
fabriquer le disque, ce qui nécessitait un minimum de moyens mais cela
restait abordable. Aujourd’hui faire de la musique ne demande plus aucun
investissement. Tu crées un morceau, tu l’envoies sur internet et si le morceau
est bien, tu peux toujours rencontrer le succès. C’est assez magique !
Pour en revenir à vos propres productions, de
Super Dicount à All Right Now, de quoi êtes-vous le plus fier ?
Justement, en réalisant
l’anthologie, je me disais que j’aimais vraiment l’ensemble, j’étais content.
(Il réfléchit) En vrai, si je continue à faire de la musique, c’est parce que
je n’ai pas encore conçu ma « masterpiece ». J’ai le sentiment de ne
pas avoir encore produit LE morceau. Je cherche toujours…
Vous êtes l’un des fondateurs de la French Touch,
comment la définissez-vous ?
Pour moi Fench Touch est
un concept historique et géographique. Il désigne des musiciens français qui
ont produit de la musique dans les années 90. En termes de sons, les gens
mettent Air, Daft Punk et ma musique dans la même appellation mais si tu
écoutes les disques, ils n’ont pas grand chose à voir. French Touch, c’est de l’hitsoire-géo. A
l’origine, à part Air qui est plus pop, tous les producteurs avaient en commun
l’influence hip hop, mouvement très fort en France dans les années 90. On
écoutait tous du hip hop. Il y a cette volonté dans la musique électronique
française de vouloir créer une musique avec attitude. C’est pas juste
« fun » comme ça l’est devenu après. On voulait sans doute faire
quelque chose de plus costaud que la musique rave des anglais qui étaient juste
de la déconne, en France, on était peut-être plus influencés par les
Etats-Unis.
D’ailleurs vous avez rencontré Philippe Zdar en
travaillant sur un album de Mc Solaar, non ?
Je l’ai connu avant mais
on a travaillé ensemble sur cet album en effet.
Nicolas, votre frère aîné est un excellent
dessinateur de bédé, Hervé est réalisateur (H5 avec qui il travaille a obtenu
un Oscar pour Logorama en 2009), Geoffroy, fondateur de Dummy est graphiste et
réalisateur (avec une victoire de la musique pour le meilleur clip en 2001)… Tous
vos frères sont artistes (graphistes, dessinateur, réalisateur), bref. Vous
êtes issu d’une famille artistique impressionnante, comment vous
influencez-vous les uns les autres ?
Je ne sais pas. J’ai fait
de vraies collaborations avec mon frère Geoffroy qui a réalisé les clips
d’animation 3D de l’album Tempovision en 2000. J’ai fait entrer Hervé chez H5(qui a notamment crée l’affiche de Game Story, ndr) qui s’est associé depuis.
Antoine Bardou-Jacquet et Ludovic Houplain, les fondateurs de H5, sont les
créateurs de mes pochettes dont Super Discount. Je ne collabore pas avec mes
frères, on se voit, on rit ensemble mais on n’a pas vraiment de ponts
esthétiques.
« REGARDEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES »
Vous touchez deux générations. Quelle différence
voyez-vous entre les deux ?
L’âge (rires). Je suis
toujours DJ et je joue dans les clubs donc je reste connecté aux gens qui
sortent et ce sont surtout les jeunes que je rencontre. Aujourd’hui, j’ai un
public jeune. Souvent, la génération des années 90 ne sait même pas que je fais
encore des disques, les gens de 40 ans ne sortent plus tellement ni en clubs ni
en festivals. Et moi, j’existe dans ces lieux. Je n’existe plus médiatiquement.
Les gens de mon âge ne regardent pas les clips la nuit. Pour voir mon travail,
il faut venir me voir jouer car il n’est plus vraiment présenté médiatiquement.
Vous évoquez la scène, justement, les prestations
scéniques de la musique electro ont vécu une révolution ces dernières années…
Les lives ne sont plus du tout pareil.
Oui, on a fait des
progrès ! Ca a été longtemps chiant.
Je ne sais pas mais une chose est sûre c’est que
les sets de Djs ont été longtemps « pas visuels ».
Oui c’était peu visuel.
Pendant longtemps, je ne voulais pas faire de live. A l’époque des raves,
j’avais été voir des lives qui ne m’avaient pas convaincu. Pendant longtemps,
j’ai fait une croix dessus. Le live en electro me semblait nul. A la base, je
ne suis pas un grand fan de concerts, où tu te rends plus pour voir quelque
chose que pour entendre.
Pour sentir une énergie aussi…
Effectivement, pour
sentir l’aura de quelqu’un.
Pour communier aussi…
Voilà. Mais ça m’emmerde
de communier (rires). Je trouve rarement un concert bien. Certaines prestations
sont en effet impressionnantes mais souvent les lumières sont horribles. J’aime
les concerts efficaces, où les morceaux ne sont pas interminables, l’impro
m’ennuie… La techno a éliminé le musicien de la musique ce qui n’est pas
négligeable.
Pourtant, il me semble que les Djs sont starifiés
contrairement aux années 90. Ce sont un peu les rockeurs d’aujourd’hui non ?
Oui dans les années 90,
le Dj était dans un coin et tout le monde dansait. Maintenant, quand je joue,
tout le monde regarde dans ma direction. Je me dis « bon si vous voulez
mais c’est dommage ». Le vrai truc serait « regardez-vous les uns les
autres », ce sera plus rigolo. J’aime bien faire le Dj dans un club, comme
ça je joue dans mon coin et les gens ne sont pas obligés de regarder vers moi.
Je me sens plus près des gens. Et sur scène, j’aime le cube dans lequel je
joue, comme ça le public regarde autre chose que moi.
"JE LEUR AI DIT : PIXEL"
Dans le studio d'Etienne de Crécy à Paris |
"JE LEUR AI DIT : PIXEL"
Alors justement qu’est-ce que le
Beats’n’Cubes ?
Comment ça qu’est-ce que
c’est ?
Oui, comment le décrivez-vous pour les gens qui ne
l’ont pas encore vu ?
C’est dur à expliquer…
C’est une sorte de Sudoku en 3D ou de Rubik’ s
Cube géant ?
(rires) Oui c’est un gros
cube qui bouge. C’est très visuel. Au moment de la promo de Super Discount 2 en
2003, je partais en tournée de Dj. Je voulais que ce soit différent. On m’a suggéré
un live, j’en ai parlé à Alex gopher et Julien Delfaud. On a fait des morceaux
ensemble, on a commencé à jouer en live et c’était super. On a commencé à jouer
en clubs et avec le bouche à oreille, on a fini sur des grosses scènes surtout
à l’étranger, en Belgique, en Allemagne et dans les payas scandinaves. Avec un
public de 10 000 personnes. Ca marchait super bien sauf que lorsque je voyais
une captation, je trouvais le spectacle nul. On donnait de la bonne musique à
écouter mais visuellement, c’était inintéressant et j’avais honte. Après cette
tournée, j’ai eu très envie de continuer à faire du live parce que cette
expérience m’avait plu. Comme j’ai commencé un live en solo, je me disais qu’il
fallait un « stage design », je voulais que quelque chose se passe
sur scène. Moi tout seul, ça me semblait pauvre. J’ai rencontré les fondateurs
de 1024 architecture, Pierre Schneider et François Wunschel et je leur ai
demandé de concevoir quelque chose pour moi. En 2007, j’étais booké au hall 9
des Transmusicales de Rennes, une scène immense et il me fallait un concept
pour habiter la scène. Ils ont créé ce
cube.
Avec un petit cahier des charges sollicitant
une forme géométrique…
Oui, mon idée c’était le
carré. Je leur ai dit « pixel ». L’idée c’était 8 beats/pixel plus
que rond et goutte et fractal. J’aime la simplicité. Ils avaient déjà développé
une maquette pour un autre projet qui n’avait pas vu le jour et me l’ont
montrée. On a beaucoup travaillé ensemble pour synchroniser les images à la
musique et que le tout garde une rigueur esthétique implacable.
Vous avez remixé Kraftwerk, Zombie Nation, Air, et beaucoup d’autres. Qui vous a semblé le plus compliqué et qui a été le plus jouissif à remixer ?
Le principe du remixe est
très particulier. Les super morceaux sont très difficiles à remixer, surtout
dans l’electro. Si le morceau est parfait, comment l’améliorer. Moi en général,
je jette tout je garde un petit élément et je compose un morceau.
Kraftwerk c’est plus
minimaliste, on imagine que c’est plus facile non ?
Sur le morceau, il y
avait la voix donc dès qu’il y a un gimmick comme ça c’est plus simple. J’a
travaillé sur le morceau avec Alex Gopher et c’était sympa parce que Ralf Hütter ( le leader du groupe,
ndr) était venu nous rendre visite à
Paris au studio écouter la musique qu’on faisait donc c’était très
enthousiasmant. Chaque remixe est unique. Parfois, certains morceaux sont nuls
mais vraiment faciles et agréables à remixer.
Vous pensez à quels morceaux ?
Je ne peux pas le dire
(rires). Mais pour certains morceaux, tu sens qu’il y a quelque chose de bien
et que c’est très facile d’en sortir un vrai remixe agréable. Tu sens qu’il y a
une idée de départ que le gars n’a pas réussi à exploiter ou qu’il n’avait pas
envie d’exploiter qui est très inspirante. Et parfois, certains morceaux sont
super et tu ne peux pas faire mieux que l’original. Il m’est arrivé de refuser
de remixer des morceaux parce qu’ils étaient trop bien ! C’est le cas
d’Aurora d’Alex Gopher.
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