Après quoi on court, le premier roman d'un certain Jérémy Sebbane sort d'ici une quinzaine de jours et je vous invite à courir l'acheter, justement.
Auteur talentueux et confirmé il l'est puisqu'il a notamment sorti un essai sur Pierre Mendès France et la question du Proche-Orient. Jérémy Sebbane a plus d'un tour dans son sac. Il sert également de plume à de grandes personnalités de la scène politique française, dont à Fleur Pellerin lorsqu'elle était ministre déléguée chargée des PME, et auparavant à... Manuel Valls qu'il estime "énergique, déterminé, très concentré et impressionnant".
Voilà qui dédramatise d'emblée la question politique-people qui fascine les journalistes et me permet d'attaquer sereinement cette interview passionnante et strictement littéraire.
Je vous propose d'aller prestement à la rencontre de succulents personnages et découvrir un style littéraire audacieux.
C'est l'heure. Vous avez rendez-vous avec les amours et complications de la génération Dorothée : Lisa aime Aaron, qui aime Michaël, qui aime Dana. Jérémy Sebbane, vite, dites-moi tout !
Comment vous est venue l'idée
d'une histoire à narrateurs multiples, je croyais être la seule à avoir un
cerveau aussi contrarié?
Non, rassurez-vous, vous n'êtes pas seule. C'est vrai, la trame d' « Après quoi on court » est construite sur les prises de parole successives de quatre personnages qui s'adressent au lecteur les uns après les autres. J'avais envie que mon lecteur soit comme le cinquième personnage principal de ce roman, qu'il se sente pleinement investi dans cette histoire. Du coup, cette forme m'est apparue très vite comme une évidence pour lui faire comprendre toutes les nuances de ce que ces quatre personnages ressentent tout au long de ce récit.
Non, rassurez-vous, vous n'êtes pas seule. C'est vrai, la trame d' « Après quoi on court » est construite sur les prises de parole successives de quatre personnages qui s'adressent au lecteur les uns après les autres. J'avais envie que mon lecteur soit comme le cinquième personnage principal de ce roman, qu'il se sente pleinement investi dans cette histoire. Du coup, cette forme m'est apparue très vite comme une évidence pour lui faire comprendre toutes les nuances de ce que ces quatre personnages ressentent tout au long de ce récit.
Quelle est la difficulté
justement lorsque l'on écrit avec deux points (ou davantage) de vue ? et
paradoxalement, en quoi ça facilite l'écriture de l'histoire ?
La difficulté c'est de ne pas perdre son lecteur en
le désorientant et surtout de ne pas tomber dans le piège de la chronique ou du
journal intime. Pour moi, le plus important était que l'histoire avance, que
les actions se succèdent. Ce n'est pas un roman naturaliste ou psychologique,
il y a un récit, une trame, un enjeu et beaucoup de rebondissements. On avance
avec mes personnages, on grandit aussi un peu avec eux j'espère, puisqu'on les
suit pendant dix ans tout au long des années 2000. Je ne sais pas si cela a été
facile ou difficile, au fond, d'écrire en choisissant cette construction mais
je sais que cela a été très agréable de se mettre dans la peau de ces quatre
personnages très différents.
C'est marrant des narrateurs
qui s'adressent directement au lecteur, c'est un peu gonflé aussi non ?
Merci ! Mais vous savez, j'ai toujours beaucoup
aimé les livres dans lesquels l'auteur nous parle. L'un de mes premiers chocs
en littérature a été le magnifique livre d'Albert Cohen O vous frères
humains dont le message de tolérance et d'amour est universel en grande
partie parce qu'il pousse le lecteur à s'identifier à son héros. Toute
comparaison mise à part bien sûr, mon souhait était de donner au lecteur l'illusion qu'il fait
partie de cette « bande » de jeunes qui se posent et lui posent des
questions. Il est en quelque sorte un
confident pour eux, quelqu'un à qui ils peuvent se livrer. J'ai aussi souhaité
que les événements qui se déroulent sous les yeux des protagonistes ( 11
septembre 2001, avènement de la télé-réalité, accession de Jean-Marie Le Pen au
second tour de la présidentielle, guerre en Irak, manifestations contre le CPE,
élection de Nicolas Sarkozy, mort de Michael Jackson...) puissent être des repères pour lui, qu'il
puisse retrouver des émotions ou des sensations connues en les revivant à
travers eux.
Ce sont surtout des techniques
empruntées au cinéma, vous aimez le cinéma Mr Sebbane ?
Oh oui ! Plus que jamais ! Je suis un passionné
de cinéma, un vrai cinéphile et j'espère d'ailleurs que ce roman deviendra très
prochainement un joli film. Beaucoup de gens du métier m'ont parlé de l'aspect
très visuel et donc cinématographique du texte. Cela m'encourage forcément à
transformer l'essai. Mais je vous en reparlerai...
Et puis, je ne sais pas si vous l'avez remarqué dans
le livre mais mes personnages vont souvent au cinéma. En étant, certes, pas
toujours attentifs au film qu'ils sont sensés regarder mais cela reste un lieu
clé pour faire avancer l'action dans mon récit. Comme quoi, il n'y a pas de
hasard...
Pourquoi avoir choisi une
histoire d'ados, qu'est-ce qui vous fascine dans l'adolescence ?
C'est l'âge des possibles, l'âge des expériences.
L'âge où l'on tâtonne aussi. La première phrase du livre est “Il ne savait pas où il allait mais il y
allait en courant”. Elle résume bien l'urgence et la fougue qui animent mes personnages qui sont prêts à
aimer et à se donner avec passion, sans réserve. Ils sont très déterminés, vont
vers leurs risques quitte à s'abîmer. C'est la fameuse tirade de Perdican dans On
ne badine pas l'amour de Musset:
“J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois mais j'ai aimé”.Et en
même temps, ils n'ont pas tous les repères pour savoir ce qu'ils ont envie
d'accomplir dans la vie. Ce sont des personnages en construction qui
grandissent au fur et à mesure du récit et voient leurs rêves se heurter aux
réalités. Ils s'approchent assez fidèlement, je trouve, de la définition de la
jeunesse de Mauriac qui la qualifiait de “dangereux passage”. Et puis, plus
prosaïquement, le fait d'avoir l'âge de mes personnages me rend plus légitime,
je pense, pour parler, avec davantage de justesse de cette génération des
années 2000.
Un roman sur les juifs par les
temps qui courent en France c'est pas banal, qu'avez vous voulu exprimer
à travers ce choix ?
Après quoi on court n'est pas un roman « sur
les Juifs ». Une partie des personnages le sont car il me semblait
important que mes personnages principaux se retrouvent tiraillés entre des
identités qu'ils jugent hâtivement contradictoires. C'est un roman qui parle
d'héritage, de tradition, de rapport à sa famille, à soi-même. En les plongeant
dans un univers relativement clos où l'impératif de transmission est fondamental,
j'ai choisi de provoquer chez mes personnages des tiraillements et des
contradictions très brutales dont tout l'enjeu sera de savoir de quelle manière
ils vont parvenir à s'en sortir. Et surtout, s'ils vont vraiment parvenir à
s'en sortir.
Avez-vous pensé au triangle
amoureux de Jules et Jim en écrivant?
La référence, bien sûr, me ravit...mais non, jamais,
désolé. Davantage par le beau film de Christophe Honoré « Les chansons
d'amour » qui a le mérite de parler de confusion des genres et des
différentes identités amoureuses et sexuelles sans en faire un thème à part
entière de l'histoire, comme si le fait de passer de l'un à l'autre était une
évidence. Mais vous avez mal compté, il s'agit ici non pas d'un trio mais d'un
carré amoureux...ça change tout:-) !
Pas banal non plus le choix de
la génération Dorothée, vous vous êtes hyper identifié ou c'est une question de
goût ?
Alors là, c'est la question où je me ruine toute
ambition d'avoir un jour un Goncourt...mais oui, vous avez bien remarqué les
références à Punky Brewster ou Arnold et Willy dans le livre !
Je les assume totalement. Je fais partie de ceux qui ont été biberonnés par les
dessins animés, les séries et les chansons du Club Dorothée. Cela ne m'a
pas si mal réussi et j'en parle sans aucune condescendance mais, au contraire,
avec beaucoup de nostalgie et d'affection.
Vous décrivez avec beaucoup de
finesse en quelques mots et une grande justesse la maladie d'Alzheimer, d'où
vous vient cette connaissance, est-ce que ce fut compliqué pour vous à décrire
sans sombrer dans le pathos ? Parce que vous le faites avec une certaine
légèreté….
Merci beaucoup. Je crois que c'est important de
parler des choses sérieuses avec légèreté. Le passage auquel vous faites
référence ne représente que quelques pages dans le livre mais j'y suis très
attaché et je suis touché que vous l'ayez remarqué. Après quoi on court
n'est pas un roman autobiographique mais je me suis évidemment servi, pour
nourrir mes personnages, de situations que j'ai pu ou que des proches ont pu,
de près ou de loin, connaître et celle-ci en fait partie, en effet.
En amour, faut-il de la
stratégie ou de l'authenticité pour que ça marche ?
Sûrement un peu des deux, il faut faire la synthèse
entre chacun de mes personnages...même s'ils sont quand même tous très
calculateurs...je n'ai pas la recette magique mais si je la trouve, promis, je
vous rappelle...cela étant, je n'ai pas envie de faire de la publicité
mensongère, ce livre ne va pas forcément vous donner les meilleurs conseils
pour faire succomber l'être aimé, mes personnages sont quand même globalement
masochistes et peu récompensés de leurs efforts.
Pourquoi est-si compliqué de
découvrir et d'assumer que l'on est homosexuel, après tout, ça ne fait de mal à
personne de s'aimer ?
Bien sûr. Vous faites référence ici au personnage
d'Aaron qui, dans le roman, passe par beaucoup d'angoisses et d'hésitations
avant d'accepter d'assumer ses sentiments. C'est le cas de millions
d'adolescents qui redoutent d'être rejetés en raison de leur orientation
sexuelle. Je forme évidemment l'espoir que notre société soit de plus en plus
ouverte avec le temps sur ces questions d'identité mais malheureusement le
déluge de violences et d'injures homophobes que l'on a pu entendre ces derniers
mois à l'occasion du débat sur le mariage pour tous ne me rend pas très
optimiste.
Que dites-vous aux gens qui
expliquent que cet amour-là est contre nature alors que justement la nature le
produit ?
Après quoi on court est un roman, pas un essai ou une tribune politique.
Ce que j'ai souhaité avant tout c'est raconter une histoire. Mais évidemment,
bien que je pense que les personnes auxquelles vous faites référence n'auront
probablement pas envie de lire mon texte, je serai heureux si, demain, après
l'avoir lu, l'une d'entre elles regarde son enfant, son voisin ou son collègue
avec respect quelque soit son orientation sexuelle.
Je vous souhaite beaucoup de succès avec ce roman Mr Sebbane, sachez que j'attends la version cinématographique et le tome 2 (pardon pour la pression) ;)
Après quoi on court
Jérémy Sebbane
MA Editions
224 pages / 14,90€
224 pages / 14,90€
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